Par Yaacob KADDORY*
Environ trois mois après la chute du dictateur Bachar al-Assad en Syrie et sa fuite vers la Russie, le paysage politique reste troublé et la situation de vie extrêmement difficile, avec l’apparition continue de tensions sécuritaires dans de nombreuses régions du territoire syrien.
Sur le plan politique, l’autorité de facto a organisé à la hâte une conférence de dialogue national sans préparation suffisante ni organisation adéquate. La conférence a abouti à une déclaration rédigée avant la fin des discussions de ses comités. La déclaration comprenait des recommandations générales que l’autorité peut interpréter à sa guise, ce qui a suscité une vive controverse quant au sérieux de l’autorité de facto à opérer une transition politique vers un État de libertés, de droit et d’institutions.
Cette controverse a été exacerbée par l’ignorance de l’autorité de la date du 1er mars 2025, date qu’elle avait elle-même fixée depuis la chute d’Assad pour la formation d’un gouvernement de compétences transitoire représentant toutes les composantes du peuple syrien, en remplacement du gouvernement intérimaire actuel qui ne comprend que des membres de Hay’at Tahrir al-Sham. Le 1er mars est passé sans la formation du gouvernement transitoire et sans que l’autorité de facto ne s’adresse au peuple syrien pour expliquer la raison de son retard, ni ne fixe de nouvelle date pour sa formation. L’absence de commentaire de l’autorité suscite l’inquiétude dans les milieux politiques syriens quant au sérieux de l’autorité à construire l’État.
Au lieu de former un gouvernement transitoire, le président de la République pour la période de transition, Ahmed al-Charaa, a émis un décret portant création d’un comité d’experts juridiques chargé de rédiger une proposition de déclaration constitutionnelle régissant la période de transition jusqu’à la rédaction d’une constitution permanente pour la République. Environ une heure après la publication du décret portant création du comité, certains médias ont commencé à diffuser des clauses de la déclaration constitutionnelle qu’il était censé rédiger, ce qui suggère que la déclaration constitutionnelle était écrite à l’avance et que le comité n’était que formel, comme ce fut le cas lors de la conférence de dialogue national.
Sur le plan sécuritaire, des tensions apparaissent dans différentes régions de Syrie, dont une grande partie dans des zones habitées par des minorités religieuses, et entraînent parfois la mort et la blessure de civils et de forces de sécurité, mais la plupart de ces tensions sont résolues rapidement.
De nombreuses violations sont enregistrées par les forces de sécurité, qui manquent encore d’organisation, de discipline et de formation adéquate pour maintenir la sécurité dans le respect des lois et des droits de l’homme. De plus, des groupes armés fidèles à l’ancien régime syrien continuent d’attaquer les forces de sécurité et de provoquer des tensions sécuritaires dans leurs zones de refuge, qui sont souvent des zones résidentielles à majorité alaouite.
En ce qui concerne la situation de vie, bien que divers produits soient disponibles sur les marchés après la chute du régime d’Assad, le pouvoir d’achat des citoyens est très faible. La majorité des Syriens ne peuvent pas se procurer les besoins les plus élémentaires en nourriture et en chauffage avec des salaires mensuels variant entre 15 et 20 dollars seulement, d’autant plus que le taux de chômage très élevé a été aggravé par le licenciement de dizaines de milliers de fonctionnaires après que le gouvernement intérimaire a découvert qu’environ 300 000 fonctionnaires ne faisaient aucun travail en réalité, ayant été embauchés pendant des décennies par le biais de la corruption et du népotisme pratiqués systématiquement par le régime de Bachar al-Assad.
La situation économique en Syrie reste extrêmement difficile. Bien que l’Union européenne ait suspendu certaines sanctions imposées à la Syrie pendant le règne de Bachar al-Assad, notamment dans les domaines du transport et de la banque, l’impact de cette suspension ne s’est pas encore manifesté.
Après la chute du régime d’Assad, la Syrie a bénéficié d’une opportunité historique rare de construire un État de libertés, de droit et d’institutions, mais la voie empruntée par l’autorité de facto et son président Ahmed al-Charaa est controversée et non consensuelle, ce qui rend l’avenir de la Syrie incertain.
L’espoir reste grand, car l’autorité de facto a réussi à circonscrire de nombreux problèmes de sécurité rapidement et efficacement, avec le moins de pertes humaines possible, et a jusqu’à présent réussi à empêcher les actes de vengeance et la guerre sectaire qui étaient attendus après la chute d’Assad. Elle a également réussi à assurer la disponibilité des produits sur les marchés, mais la réalité est encore loin des espoirs des Syriens.
*Journaliste syrien résidant à Haguenau.