Cher(e) ami(e) d’Europe,
Je sais déjà que tu me comprendras bien vite et aimerais qu’avec moi tu relayes la conviction qui est mienne, ce que je tente ici d’exprimer en forme d’encouragement et de veille pour toute une génération : N’ayons pas peur des réfugiés, respectons-les, considérons-les avant tout comme des hommes et des femmes de dignité et de courage.
Depuis plusieurs années, les médias nous les montrent en masse ou individuellement, et des drames comme ceux de Calais ou plus récemment du hotspot de Moria, le plus grand camp de réfugiés d’Europe, réduit en cendres, marquent nos esprits, choquent nos yeux, appellent nos réflexions ou suscitent nos sentiments de dégoût ou de compassion, de crainte ou de rejet.
Tous, ils ont fui, après maintes hésitations et selon maintes stratégies, leur pays en guerre ou soumis à l’oppression de corrupteurs et manipulateurs en tout genre. Ils ont dit non à des spirales de violences ou de misère. Ils ont choisi la liberté et la dignité, et cela au prix de bien des renoncements.
Ils exercent leur droit à fuir et résister, ils n’enfreignent aucune loi sinon celle que certains voudraient leur imposer pour leur seul profit : loi de formes diverses d’esclavage, loi de leur enrôlement – ou celui de leur fils ou fille – dans des groupes armés, loi des chaînes de prostitution où tant de femmes souffrent d’une humanité déniée, loi du silence et de la soumission.
Ils ont dans leurs mains bien des compétences trop longtemps enfouies ou empêchées par les violences qu’ils subirent ou subissent encore, sous notre regard, dans tel ou tel camp, telle ou telle rue de nos villes. Leurs vies sont marquées certes de quelques amertumes et graves blessures mais ils ont surtout au cœur le désir bien ancré de vivre et travailler, de servir et réussir, comme toi et moi.
Écouter leurs récits de vie, se rendre sensible à l’aventure que ces hommes et femmes de tous âges ont osée, tout cela décide définitivement à marcher avec eux, avec elles. Ce sont de grands vivants. Elles et ils ont appris à se réjouir de peu, ont fait provision de courage, ont le goût des choses vraies, nous rappellent notre commune condition de voyageurs.
J’ai rencontré parmi eux de véritables héros qui savent pourtant rester humbles. Ils ont les pieds sur terre et témoignent de beaucoup d’inventivité. Nos amis allemands, cofondateurs d’une Europe de la paix, ont compris ce qui les anime. Ils n’ont rien de conquérants pour je ne sais quelle cause politique, économique ou religieuse. Ils souffrent comme nous de la crise et des profonds changements qui affectent ces trois dimensions de leur propre pays d’origine.
Elles et ils offrent comme une opportunité durable de renouveau et de regain culturel, social et économique en nos frontières européennes. Chacune, chacun peut – ils ont déjà cher payé dans ce but – devenir notre allié(e) dans nos efforts d’engendrement de ce monde nouveau.
Pratiquons de proche en proche, en famille ou en association, une hospitalité pratique, gagnante en tout point. Oui, ami européen de l’Ouest ou de l’Est, du Nord ou du Sud, nous vivons un temps historique : s’offre à nous l’opportunité de vivre pleinement nos valeurs comme vecteurs d’initiatives et non « conserves » défensives. Ces vecteurs de vie sont la fierté de nos cultures en dialogue, celles qui composent l’Europe moderne aux vives racines de la civilisation méditerranéenne. Croyant ou pas, tu sais combien Athènes, Jérusalem et Rome sont sources de notre civilisation : civilisation du penser et du vouloir, de la démocratie et du désir, de la dignité et de la liberté.
Père Maurice Joyeux
parue dans La Croix L’HEBDO – samedi 26 septembre 2020
Ancien directeur du Service jésuite des réfugiés à Athènes (jrsfrance.org), le père Maurice Joyeux se mobilise en Grèce pour les réfugiés en errance sur l’île de Lesbos depuis l’incendie de leur camp, le 9 septembre. Voilà de longs mois qu’il alertait les autorités sur les risques de violence dans ce camp insalubre de 13 000 personnes. Alors que la Commission européenne entend « abolir le règlement de Dublin », selon sa présidente Ursula von der Leyen, le père Joyeux s’adresse ici à la plus jeune génération, pour tenter de provoquer un mouvement de prise de conscience de l’enjeu de l’hospitalité.