Il est 13h30 bien sonné. Mais qu’est-ce qui m’a pris de dire que j’étais prête à faire porteuse de parole ? Il y a déjà un certain nombre de panneaux collés au sol, mais les gens ne les voient pas. Moi qui imaginais les aborder lorsqu’ils ralentiraient pour jeter un œil. Raté ! Je regarde mes collègues du jour. Maddy s’est déjà lancée. Même pas peur ! Clément et Sylvie abordent leurs premiers passants. Ça me donne du courage. Allez, hue cocotte ! J’observe les personnes qui passent. Celui-là a l’air trop pressé… Elle, je ne la sens pas trop… Un couple : j’y vais. L’un des deux au-moins accrochera peut-être. « Bonjour, vous avez deux minutes à me consacrer ? ». Instantanément, je me vois à leur place. J’aurais dit sans doute : « désolée, je n’ai pas le temps ». C’est d’ailleurs l’excuse que j’entendrai le plus souvent au cours de cet après-midi. On laisse partir avec un sourire. Mais petit à petit, la technique d’approche s’affine et des chalands acceptent de prendre un peu de temps. Les messieurs qui fument une cigarette en attendant Madame sont de bons clients ! Je suis très fière de ramener mon premier papier aux scribes ! Et puis, les échanges se succèdent de façon plus régulière. Aucune agressivité, à aucun moment. L’accueil, oui, bien sûr. On accueille la famille, les amis, des personnes qu’on connait et qui ont besoin de soutien. Des étrangers ? On n’a pas forcément eu l’occasion, ou ce serait moins évident, ou on n’a pas trop envie de parler de ça. Et puis il y a cet infirmier psychiatrique qui essaie de réparer des migrants traumatisés par ce qu’ils ont vécu chez eux ou durant la fuite, ce professeur des écoles qui dit l’accueil de ces enfants qui viennent d’ailleurs. Ce monsieur, qui dit gentiment : « j’ai déjà dit à votre collègue que je ne savais pas trop quoi dire », mais qui lâche finalement qu’il rencontre des jeunes migrants au collège où il enseigne et qu’il fait l’effort de parler anglais pour les aider à comprendre. Il y a ce couple qui raconte combien ils ont toujours été bien accueillis, surtout par les plus pauvres, au cours de leurs nombreux voyages à l’étranger. Et cette jeune femme qui raconte, avec beaucoup d’émotion dans la voix, que sa maman avait accueilli un SDF durant plusieurs mois lorsqu’elle avait 8 ans… Et d’autres encore… L’affichage au sol s’est enrichi. Les passants s’arrêtent davantage. On peut les faire réagir sur ce qu’ils lisent. C’est dense, c’est riche, aucune méfiance. C’est fatiguant aussi à la longue. Il est autour de 15h30. Cela devient plus difficile d’aller vers les gens. Et puis mon esprit commence à être accaparé par la suite de l’après-midi. Mais vraiment, c’est une belle expérience.
Signé : Marie